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MDA, « Démarche Artistique Globale »

La bonne occasion de faire le point

Ha la besogne annuelle de déclarer ses revenus et diffuseurs de ses oeuvres auprè de la MDA. Fastidieux à l'extrême, il y a pourtant un aspect assez positif, celui de faire sa propre rétrospective chaque année, et de comprendre un peu le graphiste que l'on est devenu ou que l'on devient. D'années en années, la question gagne en pertinence. Voilà livrées ici, ces quelques réflexions sur les deux derniers exercices.

2016

Depuis 2006, ma démarche artistique est inchangée, mais s’est enrichie : il s’agit à la base de retranscrire visuellement les intentions de communication de mes clients, et d’accompagner les informations brutes, messages ou idées d’un soutien graphique artistique original, qu’il s’agisse de composition d’espaces, de mise en forme, ou d’illustrations. Le graphisme est pour moi un vecteur d’intelligibilité, d’unicité et d’esthétisme. Plus simplement, le graphisme rend claire et belle une idée ou une intention originale tout en la singularisant et en le rendant unique. C’est un lien à la fois intellectuel et émotionnel tissé avec le récepteur du message qui peut y voir tout le caractère et l’identité de l’emetteur.

Ce qui différencie les artistes graphistes des graphistes contemporains en freelance que je vois éclore un peu partout, c’est probablement la liberté que l’on peut prendre, voire doit prendre, à refuser des projets que l’on ne pourrait qualifier de suffisamment originaux ou artistiques. J’ai la chance de pouvoir choisir depuis quelques années déjà mes projets et protéger, d’une certaine façon et à ma manière, la profession. C’est devenu un argumentaire de vente, et pouvoir garantir une démarche artistique profonde à un client devient plus rare à notre époque.

Je pense qu’il est en effet très compliqué d’introduire l’art dans le travail graphique contemporain. Nombre de mes confrères sont très influencés, et se reposent trop sur les tendances d’une part (érosion du caractère original d’une oeuvre), et la vente de leurs compétences brutes d’autre part (technique au détriment de l’artistique). Le « je sais faire du photoshop », en quelque sorte. Or, arriver à teinter son travail d’une véritable approche personnelle est indispensable à mon sens. La profession est en effet mise à mal avec de nombreuses entreprises et jeunes graphistes qui sepositionnent sur la création de logotypes et autres productions graphiques à très faible coût. On peut croiser ça et là des offres annonçant « votre logo à partir de 1 euro », chose totalement délirante lorsque l’on sait le travail à fournir pour créer un logotype original, et toute la démarche créative et artistique qui se cache derrière un modèle final.

Je me suis ainsi positionné comme expert en matière d’identité visuelle et essaye de privilégier les travaux imprimés plus que les travaux web. Il y a la dedans une certaine opportunité, puisque je vois, notamment, que la compréhension des différences existant entre le traitement des couleurs en imprimerie et le traitement des couleurs sur une écran se perd totalement. La considération du papier, le respect de la tradition et l’usage des outils et techniques du passé, tout comme l’insistance quand au respect d’une charte graphique et la création d’univers totaux, tout cela se perd progressivement au profit d’un graphisme de l’urgence, « cheap », qui dérègle complètement la perception qu’on les clients d’une démarche de création artistique.

La prépondérance du web dans les demandes des clients a également beaucoup changé la donne. En effet, même si, in fine, le caractère original d’un site web existe, les influences sont telles, et les clients si peu audacieux, qu’il est parfois difficile de défendre un travail pointue, artistique, et donc au coût plus élevé. Mais c’est aussi là qu’il faut tier son épingle du jeu : souvent sollicité, je refuse toute demande qui m’imposerait de céder au graphisme « facile », comme par exemple « personnaliser » un template existant. Par template, on entend des modèles de mise en page web (souvent sur wordpress et de nombreux autres services comparables) qui, par essence, ne sont plus, à mon sens, des oeuvres originales. Si bien que je suis conseillé ça et là pour ces raisons. Ces choix, parfois complexes à assumer, portent encore plus leurs fruits cette année, en 2017, puisque de nouveaux clients ont frappé à ma porte pour la démarche et les valeurs artistiques que je défends.

Au gré des années, mon style s’est ainsi précisé, et je suis heureux de voir que l’on m’appelle plus précisément pour ma « patte » d’artiste graphiste, le style de mes oeuvres que pour des compétences brutes.

C’est d’ailleurs depuis peu que l’on reconnaît mes productions, et j’ai eu le droit en 2016 à plusieurs « j’ai tout de suite su que c’était du David Délis », bien flatteurs.

Mon client extrêmement fidèle, l’ANAAFA, m’offre un terrain d’expression infinie, et m’accorde une confiance exceptionnelle. Les derniers numéros du magazine Maître, dont je réalise la création graphique, ont même été « copiés » cette année, en inspirant de grosses agences de com. Ca a été le cas de la campagne réalisée à Paris pour l’application « Adopte un mec », qui est inspiré d’une couverture que j’ai réalisée sur le thème de l’avocat multi-casquettes (cf. Travaux joints.).

2017

Cette année a été marquée par divers événements qui ont changé mon rapport au « travail », et à la tâche du graphiste « moderne ». Ceci tient en 2 points : la capacité à ressourcer sa créativité d’une part et la prise de conscience de la part d’artisanat au sens « compétence technique » dans la création graphique.

Mon client fidèle, l’ANAAFA a fêté les 40 ans de sa structure. De multiples campagnes ont accompagné l’événement, dont la participation à la Convention Nationale des Avocats, un jeu concours étalé sur toute l’année, et un numéro BestOf de + de 140 pages pour le magazine Maître. Je ne pense pas avoir été confronté dans ma vie à une telle charge de travail, ce qui m’a valu un mini Burn Out en Octobre. Ceci à sensiblement modifié mon rapport à la création artistique.

J’ai toujours prôné l’immersion totale, c’est à dire, se dévouer durant une période complète à une unique chose, un unique travail. C’est pour moi le moyen de réserver son énergie et canaliser sa créativité le plus efficacement possible. Ainsi, ma méthode consiste souvent en un enfermement que j’ai toujours vécu de façon positive.

Cette année, cet enfermement a été terriblement destructeur. Ma créativité a été mise à mal.

Suite à cette période chargée, j’ai pris le temps de reconsidérer la place du vide, la place du Rien dans le processus créatif. Il y a une forme d’hygiène de l’artiste qui permet de prendre soin de son « pouvoir artistique ». Moi qui n’ai jamais été un être de « pause », je me mets à découvrir, quoique cela puisse sembler évident pour certains, la nécessité de reposer son esprit, son corps pour retrouver l’inspiration et l’envie de se confronter à la matière. J’ai d’ailleurs entamé l’année avec une méthode rigoureusement différente, m’imposant de faire des pauses régulières, de sortir de mon bureau, de mon atelier, pour marcher, observer, être un acteur du Rien. Le bénéfice éprouvé est bien plus épatant qu’il n’y parait. Ménager son énergie, ressourcer son esprit permet d’aborder la matière avec une envie puissante, et étrangement, une hâte quasi infantile. Chose qui ne m’était pas arriver depuis mes débuts.

Parallèlement, j’ai été frappé par le stress éprouvé durant la période, ce qui m’a amené à faire un point sur mes compétences, ma technique pure afin d’évaluer mon efficacité plus honnêtement. L’artiste est à mon sens à la fois un penseur, un homme à idées, un créateur, mais aussi un faiseur, un technicien et donc, à ce titre un artisan. Je pense qu’on éprouve, sans jamais vraiment le commenter ou en prendre réellement conscience, un gain de compétences, à mesure que les années passent. On se voit faire mieux et plus vite. Mais qui prend réellement le temps d’évaluer où il en est ? Pour aborder l’année différemment, j’ai décidé de me chronométrer. La démarche peut sembler étrange, mais elle était pour moi le moyen de contrer le stress, l’impression de surcharge de travail, en réalisant combien de temps il me fallait pour créer telle ou telle production graphique. J’ai pu mesurer à quel point la part « artisan » en moi avait progressé.

Et je pense que c’est un aspect souvent négligé dans les évolutions récentes de notre métier d’artiste graphiste. On réclame de nous un savoir-faire de plus en plus large, allant d’une expertiste Print, à une expertise Web, avec, chaque année, de nouvelles façons de « créer » et produire un élément graphique. Il est même probable que demain, que le code informatique soit totalement intégré comme outil de production du graphiste, comme le crayon, le feutre, le pinceau, la souris ou la tablette graphique le sont aujourd’hui. Imaginez alors un jeune graphiste se lançant et devant intégrer tant de techniques ...

L’artiste est donc un entrepreneur total, qui se forme, mesure, évalue, et il n’échappe pas au stress de l’entreprenariat, au fait d’être à la page, à la mise en concurrence : il doit être de plus en plus rapide, tout en étant autant créatif. Le fait d’évaluer cette efficacité, de savoir à quel point on est techniquement bon, et d’en faire un point à contrôler régulièrement permet de créer dans des conditions favorables. L’esprit se focalise alors plus sur le sujet de la création que sur l’efficacité. Plus simplement, il est plus agréable de « créer » lorsque l’on sait que ca nous prend en moyenne 24h, que de se demander systématiquement combien de temps ca va prendre.

Fort de ces expériences, j’aborde 2018 avec un sentiment nouveau et des méthodes renouvelées. Je pense que les questions du contexte, de l’époque, et de la méthodologie devraient être au coeur des débats sur notre profession si l’on souhaite protéger et favoriser la création artistique. En somme, il s’agit de créer les conditions favorables à la création artistique, et ces conditions sont terriblement soumises aux évolutions de notre époque.