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Patrick L'imposteur - Les Symptômes (chap. 1)

Collection d’indices et de signes pour démasquer les imposteurs

Sous la douche, jouer le jeu de la vérité se fait en chantant. En société, on ne joue plus. Under Pressure. On nous somme d’être plus rapide, plus performant, plus beau, plus en réussite, ad lib. Résistance et intégrité d’un côté, docilité et compromission de l’autre. Patrick, lui, n’a pas vraiment choisi son camp, mais pour assurer sa survie, il compose et se déguise. Première partie d’un sujet en triptyque, voici le portrait tout en fantaisie de Patrick l’imposteur et ses symptômes.

Pat’, c’est le rejeton d’une société qui stimule à grande échelle la frustration, la panique de l’accomplissement et la peur de l’échec. On choisit pas sa famille, mais on choisit pas non plus son époque. L'appauvrissement moral tout comme l’apologie incontestée des apparences et de l’argent ont fertilisé un terrain désormais ultra propice aux impostures. Lifestyle au top, entrepreneur freelance, slasher tout-terrain, … Patrick fantasme sans honte ses compétences et son expertise. Devenir son client est un traquenard critique, être son collaborateur est sincèrement pénible et devenir son prestataire peut vous donner envie d’arrêter d’être indé.

Soyons honnêtes et doublement prévenants : on est plus entouré de petites impostures que de grands imposteurs et, comme en témoignent les symptômes, nous sommes probablement tous, à différentes échelles, des graines de Patrick. Pour une question de fluidité et de concision, vous tolérerez une certaine absence de féminisation des propos en gardant en à l’esprit que les Patricia ne sont pas épargnées pour autant.

Il est rare que ces symptôme se cumulent en pack et que chacun d’entre-eux soient développés à leur paroxysme. En effet, si certains individus sont de véritables super héros de la bâtardise, unanimement reconnus pour leur constance et le niveau de leurs super défauts, chez d’autres, ces manifestations sont épisodiques et tout en légèreté.

Le double complexe de Patrick

Qu’il soit votre client, votre collaborateur ou votre prestataire, vous avez déjà fait face à cet étrange sentiment qui finit immanquablement par vous agacer : Patrick vous semble totalement à côté de la plaque.

Lorsque vous le trouvez particulièrement mauvais et incompétent sur certains points, lui, débite des kilomètres de merde avec l’aplomb d’un docteur en la matière. Et étrangement, tout ce qui vous semble beau et grand chez Pat’ semble lui échapper totalement. Avec ses belles lunettes en ciment, il a perdu toute clairvoyance sur son être, ses qualités et ses défauts.

Patrick adopte sans cesse une certaine posture par rapport au monde qui l’entoure. Le bougre est pire qu’un transformiste sous Guronsan. Il s’adapte, il compose et il compense en permanence, si bien qu’il vous arrive parfois de vous demander si vous faites bien face à la personne que vous connaissez.

En réalité, il cumule complexes de supériorité et d’infériorité. Et ce dérèglement si caractéristique est plus ou moins l’origine triste de tout ce qui suit.

Patrick, en mal de reconnaissance

CV ambulant, Patrick décline inlassablement ses références et faits de gloire. Lorsqu’il fait un truc bien, il vous en parle pendant 10 ans. Symptomatiques des gens qui font rarement des choses si exceptionnelles que ça, la moindre action qu’il aura estimée notable et le moindre succès auquel il a participé (aussi peu soit-il) sont mis en valeur à l’extrême.

En panique à l’idée de ne pas être au top, Patrick en fait des caisses. Il se caractérise par un besoin viscéral de « peser » et d’en mettre plein la vue. Pour atteindre cela, il n’y a pas de méthode honteuse. Vous en avez probablement un dans votre entourage, un joyeux romancier qui vous donne l’impression régulière de balancer mythos sur mythos ou dans une moindre mesure, d’être le héros fantaisiste de l'épopée incroyable qu’est sa vie. C’est tout à fait contre productif, mais ça, il ne s’en rend jamais compte.

Bonus : Le problème de reconnaissance inversé

Patrick a un mal dingue à reconnaître quoi que ce soit : dire merci est un acte de générosité quasi impossible ; vous féliciter pour votre travail n’arrive jamais ; et avoir une dette envers vous est un enfer dont il se passerait bien, si bien qu’il s’en passe toujours.

Un jour, épuisé, vous lui confiez qu’il pourrait vous lâcher un petit merci à l’occaz. Vous venez de donner l’occasion ultime à ce trou de balle du compliment de vous dire que c’est vous, et vous seul qui avez un problème de reconnaissance.

Ne vous laissez pas berner. Cette technique s’appelle le « reverse acknowledgement expectation issue », soit « problème de reconnaissance inversé » en français (ne cherchez pas, ça n’existe pas). En réalité, avoir un problème de reconnaissance ne se résume pas à attendre des remerciements, mais se traduit bien plus par l’incapacité de certains à être … reconnaissant.

Patrick est de mauvaise foi

Ce n’est jamais vraiment la faute de Patrick si quelque chose a merdé. Il passera des heures à vous expliquer les raisons (généralement une batterie d’arguments douteux et une collection de souvenirs fantaisistes) pour lesquelles vous avez tout niqué. Et si vous vous risquez à lui rappeler ce qu’il vous avait dit ou avancé, il vous rétorquera avec un aplomb déconcertant qu’il n’a jamais dit ça.

Témoins, preuves irréfutables (allant d’échanges de mails, à un enregistrement audio wav 24bits de sa propre voix, en passant par une interview fullHD en close-up sur sa bouche) ne peuvent lui faire entendre raison.

Dans le feu d’un débat à son encontre, ce pénible Patoche finit toujours par tenter de vous la faire à l’envers. Il vous pose des questions (souvent incongrues), avec l’objectif pachydermique de vous mettre en défaut. Calme et pédagogue, chaque réponse parfaite que vous lui proposez l’agace terriblement. Sonnera alors le fameux « non, mais c’est/c’était pas la question », qu’il reformule inlassablement pour vous aider à bien le comprendre. Sauf que vous, qui n’êtes pas fou, vous voyez bien que c’est à chaque fois une nouvelle question. Dans certains cas, ceci peut se produire en cascade et durer une bonne demi-heure, avec au bout, une douce envie de meurtre.

Notez bien que pour Patrick, c’est vous qui êtes de mauvaise foi.

Bonus : Le dico perso de Patrick

Le Petit Patrick est un dico quadrilingue qui autorise d’une part tous les mélanges les plus dégueulasses (franglais, ibericosuisse, patois local + USA), mais présente surtout pour de nombreux mots des définitions tout à fait personnelles. Il faut vous y faire, Patou ne parle pas forcément votre langue (le français).

Ceci peut rendre une prestation ou une relation de travail quasi impossible, car pour lui, tel ou tel mot ne veut jamais dire « ça ». Patrick n’a toujours pas compris que certains mots ne sont pas des concepts.

D’ailleurs, quel que soit le sujet, pour lui, « chacun a sa vérité ».

Patrick et “la technique”

À moins d’être artisan (à quelques exceptions prés), Patrick ne pipe rien à ce qu’il nomma un jour « la technique » (terme générique qui désigne à la fois l’Internet en général, la conception, Excel, un appareil photo, une méthode quelconque, un logiciel, une machine à café, un plan marketing, et à peu près tout ce qui ressemble à un outil). Pour lui, c’est pas que c’est d’la merde, c’est juste que c’est pas son job. Son input, sa valeur ajoutée, c’est le brainstorming, ses idées et sa réflexion. Patrick vous dira qu’ il « phosphore » (claque). Ainsi, il déléguera à la belle poire que vous êtes « la technique ».

Il est devenu maître dans l’art d’esquiver les sujets qui pourraient le faire passer pour une grosse tuile. Mais pas d’bol, parfois, une discussion impliquant « la technique » est incontournable. Habile, Pat’ feindra de comprendre en opinant du chef, et en recourant au « c’est pas faux ».

Bonus : Patrick, ce sacré geek

Comme un gros paquet de beaufs, Patrick revendique un petit côté « geek » (claque II). Gros symptôme de l’imposteur iphonisé dopé à la Granny Smith, il travaille en réalité avec des logiciels mainstream des années 90 - crackés par un pote - installés sur des ordi portables (les tours c’est pour les cons) aussi épais que ses compétences.

Vérolé à l’extrême (recherche bing, barres d’outils chelous) il change son laptop dès que « ça rame » (profitez-en à ce moment précis pour lui parler de RAM, et observez le malaise sur son visage). Autre indice, il ne sait toujours pas faire une recherche sur Internet (il vous appellera avant en tous cas). Patrick, vous vous en êtes aperçus, c’est le dernier des geeks.

Patrick et son réseau

Patrick est connected. Il aime le networking par dessus tout, car son réseau, c’est son faire-valoir ultime. Il a peu à peu développé une expertise du pouvoir et des compétences par procuration : pour lui, connaître quelqu’un qui a connu Mickaël Jackson (mettons) c’est déjà, d’une certaine façon, savoir faire le moonwalk.

Adepte du name dropping , il vous parle plus souvent des gens qu’il connaît, qu’il a rencontré à sa dernière soirée, ou avec qui il a travaillé, que de lui-même. Pour Patrick, l’enjeu, c’est la multiplication des opportunités.

Il est extrêmement agile et actif socialement. Il se gave de sorties et d’évènements. Il appartient, de près ou de loin, à de nombreux groupes de gens douteux qui présentent tous un intérêt (concret ou potentiel). Vous avez sûrement déjà constaté qu’il ne se brouille jamais avec personne, plus précisément, jamais avec quelqu’un sur qui il a investi (il aura d’ailleurs souvent peur que la personne intègre que vous êtes mette en danger ses bonnes relations avec ce joyeux monde de merde).

Franc-mac en puissance (en tous cas, il en rêve), il arrive à tenir beaucoup de gens par les rouflaquettes, car aussi détestable soit-il parfois, il est devenu lui aussi, par essence, une opportunité latente. C’est du joli !

Aspect notable, Patrick a tendance à ne travailler qu’avec son réseau proche, souvent un réseau qui lui ressemble un peu. Il est finalement assez rare qu’une personne extérieure fasse appelle à lui.

Patrick et les thunes

L’imposteur a un rapport inquiétant (et inquiet) avec l’argent. Il peut être au choix obnubilé par le profit, en démo permanente de pouvoir d’achat, super mal à l’aise à l’idée que les gens sachent qu’il est blindé (et inversement), ou simplement radin. Vous avez forcément eu un jour un problème avec lui, et par ailleurs, constaté que ce genre d’individu-là nous font le plaisir régulier de petits mensonges médiocres. Dans le cadre du monde professionnel c’est tout à fait manifeste.

Lorsqu’il est prestataire, Patrick fait de petits devis séduisants, préalables à une future petite entube à la cool, un machin à surfacturer. Il n’est pas rare qu’il n’ait pas anticipé du tout la charge de travail et budgété la mission avec une fourche à foin, car l’important, c’était surtout que vous acceptiez le devis. C’est rarement de sa faute et c’est donc à vous de payer.

Lorsqu’il est votre collaborateur, Patachou est très inquiet par la direction du projet. Son obsession, c’est le biz et comment on va gagner de l’argent, si bien qu’à un moment, vous réalisez que le projet en lui même n’a plus aucune espèce de valeur : vous pourriez vendre des saucisses, ça serait pareil. Plus épatant, vous noterez que ce n’est jamais Patrick qui trouve les réponses aux questions économiques. Son rôle, c’est juste de vous mettre la pression.

Bonus : Patrick le client, alerte 0 budg’

Patou ne vous donnera jamais son budget. Il n’a pas de budget. Il vous laissera d’ailleurs l’impression que son entreprise est tout le temps au bord de la faillite. Cela dit, vous devriez réaliser l’honneur qu’il vous fait de vous solliciter. Tout est démesurément cher pour lui, et il a systématiquement connu quelqu’un qui faisait le même métier que vous et qui était BEAUCOUP moins cher.

Ne lui parlez pas de « prix du marché », il n’a généralement aucune idée de ce qu’il vous demande, alors connaître son prix, c’est peine perdue. C’est évidemment un mauvais payeur (même pour 40 balles) qui vous a pourtant envoyé le chèque « la semaine dernière » et qui « ne comprend pas » ce qui a pu se passer (en 4 semaines d’excuses, vous auriez d’ailleurs dû recevoir 4 chèques).

Doit-on avoir peur de Patrick ?

Vous venez juste de réaliser que vous êtes entourés d’un certain nombre de Patricks ? Pas de panique. D’ailleurs, vous êtes sûrement aussi un petit imposteur à vos heures perdues. Disons-le, conserver une cohérence et une intégrité absolues relève de l’impossible. Il ne s’agit pas de fuir en courant ou de prier pour un accident lorsque vous croisez la route d’un potentiel imposteur, mais bien plus de prendre conscience que vous avez face à vous un individu particulier, ou patrickulier, pourait-on dire, si nous étions amoureux des jeux de mots. Cet individu requiert un certain savoir-faire et une certaine solidité, mais surtout, il exige une certaine vigilance.

C’est probablement à nous tous, dans nos rôles et positions, petits entrepreneurs, clients ou consommateurs responsables, d’arbitrer avec justesse avant de jouer le jeu de Patrick. C’est exactement comme le Bio. À la base, c’est super, puis, on réalise que le Bio français a plus de sens que le Bio d’ailleurs. Cette capacité à dire oui avec sélectivité et recul est un enjeu crucial. Ne s’agit-il pas d’être plus cohérent, plus exigeant tout en portant dignement ses valeurs ? Ceci devient nécessaire pour organiser une forme de résistance aux impostures et éviter d’être entouré d’incompétents notoires.

Si vous ne découvrez rien dans ces propos, il n’en reste pas moins que nous sommes coresponsables de cet état des choses. En réaction à nos propres frustrations et angoisses, l’on finit par adopter des comportements peu dignes et rarement valeureux. En gros, on agit peu en faveur d’un changement positif, prétextant souvent que c’est comme ça, tout en opposant à nos proches qu’ils sont utopiques et que ça ne sert à rien. Aussi, l’ubérisation, qui semble s’attaquer à tous les métiers (pour le meilleur et pour le pire), contribue et contribuera largement au phénomène, en offrant sans aucune prévenance le rêve que « tout le monde peut tenter sa chance », ce qui est faux. On s’attaquera d’ailleurs dans le chapitre 2 à quelques cas d’école, tout en proposant quelques astuces réflexes pour s’engager dans un plan VigiPatrick à toutes épreuves.