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Orgueil et vertige de l'artiste

Rédemption et réconciliation avec la publication | Podcast & Article

Qui vit ça simplement ? Quel artiste est à ce point décérébré pour vivre son rapport à l'art avec une fluidité et une simplicité jouissives et incontestables ? Rien ne m'est apparu simplement. Le long chemin ressemble à une collections d'épreuves olympiques, pour arriver à toucher du bout du doigt quelque chose qui ne soit pas un mirage ou une conviction passagère commode. Tout ça. Tous ces articles préalables, ces 10 mois à préparer cube60, et ces longs commentaires écrits ça et là au sujet de mes productions ont été comme une prise d'élan interminable pour préparer cet article précis et faire enfin face au grand tourment. Comme une interview forcée, comme des aveux nécessaires, comme la condition indispensable à la possibilité d'un après.

Full Podcast

Et comme dirait Sophie : « Personne ne te pose de questions, mais tu réponds bien. »

This is the end

En 2011, GOS s'arrêtait. J'y mettais fin. Comme une urgence particulière et égoïste, celle d'éliminer l'existence d'une version de moi-même que je ne supportais plus : une espèce de leader non assumé, colérique, qui prenait plus de temps à pointer les erreurs des autres que les siennes, et commençait à détester son incapacité à se rapprocher du rêve qu’il avait initialement.

En quittant un groupe et ses 5 ans d'histoire, sa lente construction, son rêve continu, on met également fin à un quotidien. Les répétitions qui rythmaient les semaines et les concerts qui offraient de se projeter disparaissent instantanément.

Vous vous retrouvez là, soulagé de certaines choses, prêt à fouler un nouveau chemin, mais indubitablement vous vous retrouvez seul. Seul avec cette matière que vous sculptez depuis des années. Car, cette certitude là restait, il n'avait jamais été question d'arrêter de sculpter.

Remplir l'atelier

Un peu plus de 8 ans à créer. Une quarantaine de titres probablement, avec autant d'inachevés, de fiertés silencieuses et de collaborations heureuses. Un peu plus de 8 ans de vertige, à essayer de comprendre pourquoi cette détestation de la scène, pourquoi cet amour de la composition et de la production, à essayer de saisir quel artiste je voulais être en plus d'approcher l'artiste que je suis plus probablement.

Tout s'est mélangé, confondu puis propagé, comme un virus. Se retrouver là devant son Oeuvre infectée de peur, de honte, d'orgueil et faire face à ce complexe d'infériorité. Comme si pour être « légitime », comme si pour avoir le droit de montrer ce que l'on a fait, il fallait avoir atteint un « certain niveau ». On apprend à piétiner sans tendresse l'artiste que l'on est et qui ne demande qu'à avancer, se developper petit à petit, comme tout le monde. Comme un père sans coeur qui ne cesserait d'enfoncer sa progéniture car elle n'est pas parfaite à ses yeux.

Il y a un grand écart permanent entre la jubilation ressentie lorsque l'on fait, et le doute, souvent le désarroi, que l'on éprouve plus tard lorsque l’on examine son oeuvre. Il y a une malhonnêteté constante et un narcissisme tragique. Accoucher, ressentir le plus grand des bonheurs, et se dire quelques mois après que l'enfant n'est peut être pas assez « bien » pour être présenté au monde. Inavouable.

Comme si au moins, je savais que je faisais beaucoup, à défaut de montrer quoi que ce soit.

Tout ne se fait que par un procédé maladif de comparaison. On écoute ses artistes préférés, on scrute ce que font nos amis, et on se dit « à quoi bon ? ». Et l'on garde alors son enfant, caché dans un atelier qui se remplit petit à petit de nouvelles sculptures inertes, protégées sous des draps blancs qui prennent la poussière.

Pourtant, il y a cette étrange fierté éprouvée à l'endroit de la « quantité ». Rentrer dans son atelier, et voir « autant » de choses permet de s'enorgueillir bêtement. Comme si au moins, je savais que je faisais beaucoup, à défaut de montrer quoi que ce soit. Il y a longtemps eu un fantasme de tenir à jour un journal de bord, qui étalerait cette boulimie créative, comme pour dire au monde « regardez à quel point je fais 1000 fois plus de trucs que vous, vous les pseudo artistes mono tâches ». Boursouflé.

Progressivement, une stratégie de légitimation s'installe. Si l'on n'existe pas pour le grand public, on arrive à exister auprès de ses pairs et de ses proches. On drop du « j'ai fait ce dernier truc », avec l'espoir de toucher si grandement son nano-public, que le réservoir de courage se remplirait d'autant et donnerait enfin à prendre le risque de s'exposer en vrai. En vain. L'orgueil silencieux, la tête malade débite du concept à gogo et produit de la conclusion hâtive en masse. Dernière en date, « J'aime être un contributeur de l'ombre », le tout enrobé d'une épaisse couche de chocolat goût frustration.

Le phénomène inconscient impliquait finalement ceci : se sentir artiste était plus important qu'en être un.

Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. Toujours s'assurer de pouvoir épater son petit monde en évitant cordialement de se mettre en danger. Le grand monde attendra. S'assurer de se sentir toujours un peu exceptionnel auprès de ceux qui vous suivent et vous aiment. Le phénomène inconscient impliquait finalement ceci : se sentir artiste était plus important qu'en être un. Ce n'est pas une supercherie, c'est juste une étrange réalité qui s'opère en certains, et s’est opérée en moi. Je pouvais m’assurer, sans trembler, de vivre une vie d’artiste.

Lui

J’ai la chance d’avoir un frère jumeau qui ne souffre pas des mêmes maux. Mickaël Délis, l’exposition, c’est sa seconde nature, et une condition d’existence aussi indispensable (son métier l’exigeant) que motrice, même si je soupçonne un narcissisme parfois délirant, qu'il a réussi à transformer petit à petit en narcissisme hilarant. Ses publications sont épatantes.

Chez moi, il a été responsable d'une petite quantité de prises de conscience et révolutions personnelles, allant du goût pour la langue française, à ma venue sur Paris, au fait d'investir pleinement ma vie d'artiste en herbe. C'est une relation que l'on chérit tous les deux, si jamais la demi-douzaine d'articles où l'on trouve sa gueule en illustration ne suffisait pas à témoigner déjà de ça.

Ceci N'est Pas un Tuto(riel), une nouvelle collaboration artistique qui se pose en cadeau. Car il est infiniment plus simple pour moi de partager le risque de l'exposition. J’ai été, une fois de plus, largement inspiré par mon frère, en plus d'être quasi coaché pendant un an. On a fini ? On publie. Pas de latence. Laisser faire l'oeuvre. Assumer sa boulimie. Et m'offrir d'être un témoin privilégié du risque qu'il prend lorsqu'il se met en scène ou s'expose seul. Inspirant, définitivement.

Plus tard, quelques échanges fortuits avec des amis ont fini par distinguer « la vie d’artiste » du fait d’« être un artiste ». D’un coup, toutes les questions relatives à l’exposition et à la confrontation au monde trouvaient une réponse encore plus simple. L’artiste montre ses oeuvres. Basta. C’est une condition sine qua non. Ca n'annulait en rien mon dévouement absolu à la création, ni ne remettait en question cette vie que j’ai choisie, mais ca permettait au moins de réaliser que tant que je ne publierais rien, je ne pourrais être un artiste.

Vider l'Atelier

Un jour, on éprouve le ridicule de la situation, en même temps qu'un étouffement insupportable. Ce matin là, l'on rentre dans son atelier, et l'on ne peut plus se déplacer. Les petits chemins qui émergeaient de la position des sculptures se trouvent de plus en plus exigus, jusqu'au point où l'on ne peut tout simplement plus circuler, et l'on suffoque en plus d'être quasi privé du droit de continuer à créer.

Un souvenir marquant, celui de ma mère, céramiste sculptrice (l'analogie trouve ici ses origines dirons-nous), qui un jour m'employa pour remplir des brouettes, littéralement, de sculptures et inachevés, que nous sommes allés casser à la masse avant de les jeter dans une immense benne à ordure de l'avenue de la Marne au Cap Ferret. C’était pour elle vital d’un point de vue artistique. Être entourée de ses vieilleries, de ses anciennes productions, pouvaient occasionnellement l’emprisonner. Il fallait vider l’atelier, d’une façon ou d’une autre.

Inspiré dirons-nous. Vider l'atelier pour pouvoir passer à autre chose. La musique, les photos, les vidéos ne se cassent pas, et dans cette démarche quasi thérapeutique, je voulais à la fois m’offrir une paire de couille artistique, péter la gueule à ce narcissisme et cet orgueil inavouables, et respirer à nouveau dans un espace vide, ou en tous cas désencombré. Puis rétablir le dialogue avec l'artiste « en devenir », retrouver du respect et de la tendresse pour l'imperfection, puisque mon p'tit pote, ça sera ta compagne pour une vie entière.

Exposer, publier

Cube60, une envie vieille de presque 10ans. Les premières archives du site datent de 2011. Tous mes potes développeurs ou presque y sont passés. Je ne compte plus le nombre de designs, de versions, ou même d'intentions pour ce projet. Pierre AKA Pierre DuJapon a finalement repris le flambeau éteint. Là où j'adopte volontiers la figure du pédagogue, celui qui aide et enseigne, je me suis retrouvé comme un enfant à écouter les bons conseils de mon ami, et me laisser guider vers une autonomie jamais ressentie jusqu'alors. Me voilà disposant de ma salle d'exposition homemade.

Vider l'atelier, remplir la salle. Comment trouver une putain de magistrale excuse pour retarder le grand saut ? 2ème vertige. Orgueil et folie en ébullition. Allons-y gaiement, l'envie de publier 8 ans d'archives devient dévorante, jusqu'au salvateur vomissement, qui pue la crise de rationnalité. Impossible de tout montrer, impossible de faire ma chronique post-mortem et pré-reborn. Sélection, découpage, avec une frustration constante.  L'envie de giffler la petite gueule de con qui hurle de vouloir montrer au monde tout ce qu'elle a fait depuis 8 ans. Mais quelle absurde situation.

Respiration. Il est si aisé de faire pour les autres et si commode de disposer de deadlines que l'on n'a pas choisies. Graphiste, pas artiste. Client, pas public. Au demeurant, fixer un programme, et fixer des limites. 16 articles, au moins, dans 4 thématiques au moins. Priorité à la musique. Sortir 24 titres, divisés en 4 Ep's. Scinder le site en 3. David l'artiste, David le Graphiste, David L'intégrateur. Schizophrénie nécessaire, schizophrénie salutaire. 7 Projets d'intégration, c'est récent, ça va aller vite, juste des liens. Mon book de graphiste ... putain, je déteste les sites de graphistes, je déteste les graphistes. Alors ... présenter ses références de connard, présenter des trucs à regarder pour que les gens se disent « Ha, ça j'aime [...] Ha, ça, j'aime pas », et écrire, écrire, écrire, comme pour se purger. Respiration.

Incarner

Nouvelle question : Qui suis-je ? Je vais crever, c'est sûr. Alors, il a les yeux bleux, des cheveux un peu sales et des gros mollets ? C'est David Délis. « David Délis », le truc qui sonne comme un pseudo, alors que ça n’en est pas un. Je me repasse les blazes de merde que j'ai choisis au cours de ma vie. K2D, David & Lis, Élis, Samuel Élis...

Olivier Schlauberg. Schlauberg. Et la lumière fut. Un Paye Ton Poisson Michel plus tard, signé Schlauberg & Délis, je m'appelais Délis. Comme s’il m’avait fallu 15 ans pour assumer ce patronyme qui m’apparaissait comme un nom qu’on aurait pu donner à une marque de cookies.

On incarne pas les choses seuls comme on les incarne à plusieurs. Je ne dis pas que les collaborations, c'est du pipi de chat, ou que les commandes artistiques c'est de la merde, mais le courage nécessaire est incomparable, aussi parce que le risque n'est pas partageable, et aussi parce qu'on ne peut accuser personne.

Le Graal

Cette soirée au 103 avec Olivier, devenu Schlauberg depuis la fin de GOS. Éprouver le bonheur de faire de la musique avec quelqu'un. Improviser. Faire un clip. Publier dans la foulée. Paye Ton Poisson Michel, celui-là même qui vous dit que l'aiguille tourne sans cesse (sans cesse, sans cesse), aura été un fier phare dans la nuit des doutes, le souvenir marquant de la spontanéité. Olivier bosse désormais sur son album. On a collaboré sur 2 nouvelles chansons, prêtes depuis plus d'un an, et nous voilà pataugeant à nouveau dans des considérations « projet » qui, aussi légitimes soient-elles, créent cette détestable inertie, cette attente insupportable.

Échapper au « caractère exploitable des choses ». On fonctionne aujourd'hui avec l'idée que la moindre chose que l'on fait ou que l'on vit peut avoir une valeur, qu'on peut la transformer en quelque chose de profitable. Tout est devenu potentiellement exploitable. Il est sûrement là le narcissime contemporain. C'est peut-être aussi là que l'orgueil trouve son terreau. Ne serions-nous pas, nous, la génération des « artistes » de la fin des 70's et du début des 80's, des grands traumatisés ? Comme si le contrat avait été déchiré. La lourde décision d'emprunter une voie artistique, le dévouement que ça impliquait, et patatara, voilà l'apparition soudaine de millions de prétendants qui sont nés dans une époque ou faire de la musique, c'est tout simplement « possible », sans engagement. Forfait artiste en mode « Je peux, donc Je fais ».

Ton époque. Là. Chiale pas. Il est plus important de trouver le moyen de tordre le cou à ses propres penchants, et ne pas se laisser faire par la déprime pré/post apocalyptique. L'enjeu majeur de l'artiste, c'est pas son époque, c'est éviter la distorsion qui se crée à cause du vide, ce temps qui sépare l'oeuvre de sa publication. Commandes exclues, pouvons-nous, devons-nous interroger la destination d'une création avant même qu'elle n’existe ? C'est d'une prétention folle.

Dans le silence et le vide, tout se distord. Dans le vacarme et la foule, tout disparaît. Dans la matière et l’altérité, tout existe, tout est vrai.

Mon Graal se manifeste : Créer, exposer. Une conclusion qui sonne comme les premiers conseils qu'on donnerait à des enfants qui découvrent le monde. Faire péter tous les verrous de posture, distinguer ce qui incommode de ce qui indiffère, et laisser l'oeuvre naviguer, qui elle, trouvera sûrement son chemin plus naturellement que son auteur. Ne pas en vouloir aux moyens de publications modernes, ne pas souffrir sur les Réseaux Sociaux, ne pas perdre ce temps là. Ne pas interroger la destination. Ne pas systématiser une chaine de production. Et L'oeuvre n'était-elle à vendre, elle pourrait être achetée. N'était-elle issue d'un projet, elle pourrait s'y intégrer. N'était-elle imaginée pour la scène, elle pourrait s’y exprimer un jour.

Le point de départ doit rester l’oeuvre, car ce qui s’y vit, ce qu’elle comporte, a le plus de chance d'être véritable. L'oeuvre est toujours incontestable. C'est aussi là que la jouissance se renouvelle inlassablement. C'est là qu'on ne falsifie rien. Dans le silence et le vide, tout se distord. Dans le vacarme et la foule, tout disparaît. Dans la matière et l’altérité, tout existe, tout est vrai.

Amen.